A propos d'Hélices : Article paru dans l'Humanité
CULTURE - le 9 Septembre 1999
Il faut cinq sens et plus pour faire un poème.
Qui a vécu, enfant, quelques heures à la campagne se souvient sûrement des fruits de l'érable aux ailes membraneuses qu'on lançait en l'air pour les voir redescendre tournoyant comme les pales d'un hélicoptère. La poésie naît de ces détournements, comme le rappelle, colle et porte-plume à la main, Annie Krim-Déjean (1), pour qui ces hélices deviennent des corps de sauterelles, des ailes de canards ou d'amour.
Allez savoir ! N'est-ce pas l'immédiateté, le premier regard, la première écoute, qui la font mépriser par nombre de contemporains ? Certains haussent les épaules. Tant pis pour eux. Laissons les victimes de leurs journées trop ordinaires et suivons Jean-Marie Barnaud (2) pour (re)découvrir la poésie simple des " choses menues dont on ne parle guère ".
René Char, Armand Robin, Eugène Guillevic, Claude Roy et les autres n'ont pas agi autrement, qui ont pris la plume pour chanter le charme d'un bout de pré, les beautés d'un arbre ou de l'envol d'un oiseau, fût-il un corbeau. Qui veut figer la pensée poétique fait fausse route ! On nous en fait des anthologies de ce genre, poussiéreuses comme les réserves d'un vieux musée local. La troisième anthologie que publie Jean-Marie Henry chez Rue du monde (3) a l'esprit de l'escalier, et donc la dynamique de la pensée poétique : le " libre cheval " de Frédéric Charles n'est pas étranger au cheval de Clod'Aria qui " attendait son tour / dans le pré du boucher ".
Du désir de posséder l'animal sont nées les peintures pariétales et de dire l'homme et la nature l'écriture, la calligraphie. Notre écriture peut le faire oublier. L'écriture arabe, quand elle se double du travail graphique d'un Rachid Karaïchi (4), accompagne harmonieusement la poésie, redonne du mouvement aux signes. La poésie n'est décidément pas que du lire et du son. Les dix-neuf poèmes ici enchâssés, qui jalonnent les grandes étapes de la littérature poétique arabe deviennent ainsi du voir.
La poésie est séductrice. Les poètes nous donnent envie de faire comme eux. Qui anime des ateliers de poésie avec des enfants connaît leur désir et leur savoir-faire. Annie Krim joint une pochette où elle a enfermé deux hélices : À vous de jouer !. La collection Poésie de Folio Junior propose pour les adolescents un cahier final fort incitateur (5). Tout comme les précieuses anthologies de Jacques Charpentreau (6), avec en annexe d'importants " modes d'emploi ". La poésie émane certes de nos cinq sens, elle n'en exige pas moins un sixième, celui qui nous rend capables d'organiser les couleurs et les formes de nos rêves, les parfums de notre imaginaire, la douceur de nos désirs. L'oublier serait bercer le jeune lecteur d'illusions !
FRANçOIS MATHIEU
(1) Annie Krim-Déjean, Hélice (45, rue Jacques-Prévert, 80480 Salouel, tél. : 03 22 45 01 36), 28 pages, 100 ou 200 francs. (2) Jean-Marie Barnaud, le poète et la méchante humeur, images de Martine Mellinette, Poèmes pour grandir, Cheyne Éditeur, 48 pages, 85 francs. (3) Jean-Marie Henry, Naturellement - Anthologie de poèmes sur la nature, l'homme et son environnement, images de Yan Thomas, préface d'Hubert Reeves, Rue du monde, La Poésie, 64 pages, 95 francs. (4) La Petite Anthologie de la poésie arabe - 19 poèmes illustrés par Rachid Karaïchi, Mango Jeunesse, album Dada, 46 pages, 99 francs (à partir de 10 ans). (5) Citons ici la Mer en poésie, l'amour et l'amitié en poésie et Robert Desnos, un poète, Arthur Rimbaud, un poète, Folio Junior, Poésie, Gallimard (à partir de 11 ans). (6) Jacques Charpentreau, les Plus Beaux Poèmes d'hier et d'aujourd'hui et Jouer avec les poètes, Livre de poche Jeunesse, Fleurs d'encre, Hachette (pour tous).
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