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Souvenirs de Masolo à Kinshasa - Suite 1

J'aurai dû entreprendre mon récit par le début de mon voyage, car c'est en allant chercher mon visa à l'ambassade de la République du Congo que le voyage a vraiment commencé.

On m'avait dit d'y aller très tôt le matin, j'y étais à huit heures, on m'avait dit qu'il fallait que je m'attende à...attendre. Effectivement une foule compacte se tenait devant la grande porte d'entrée. Des gens de toutes sortes, des congolais bien sûr de tout âge, des hommes d'affaires, des femmes avec plein de paquets, en robe du pays, certaines avec des enfants, d'autres en tailleur strict, chacun avait l'air nerveux, bien sûr ils savaient comment ça se passait, moi j'ai vite compris, on a eu des tickets, et on a fait la queue, longtemps, longtemps, puis peu à peu on a pu avancer. Dans la queue plusieurs langues se parlaient, français, anglais, allemand, néerlandais, même du chinois, (j'ai compris pourquoi là-bas sur place) et bien sûr le sonore et chaleureux lingala que je découvrais. Les sujets de conversation étaient eux aussi très variés, et pour ce que j'ai pu capter, des soucis ménagers, des problèmes d'achat de terre, de livraisons, de billets d'avion, et même d'achat de diamants, avec une telle proximité, difficile de ne pas entendre puis d'écouter!

Enfin j'arrivais presque à l'employé qui allait vérifier mon dossier, mais là...Midi, arrêt d'une demie heure, repas du monsieur. Moi aussi j'avais faim, l'énervement commença à gagner les demandeurs de visa, un autre employé vint dire qu'après tel numéro, il était inutile d'attendre, "Revenez demain s'il vous plaît" dit gentiment l'employé. Des cris de protestation, de vains appels pour faire revenir l'homme, alors certains s'en allèrent. Moi j'avais un numéro qui me donnait l'espoir de passer avant le soir.

Je n'avais pas prévu de sandwichs et j'enviais ceux qui sortaient le leur, mais bien vite s'installa un véritable restaurant, les mamans distribuaient des boîtes en plastique, quand les couvercles sautaient une bonne odeur augmentait ma faim. Les gens commençaient à se détendre, les conversations s'échauffaient et se mêlaient, j'étais sidérée du changement, du niveau sonore et du déballage des sacs. Mais le clou du spectacle fut quand des femmes venues de l'extérieur sont apparues pour vendre nourriture et boissons fraîches sorties d'énormes glacières bleues, j'étais sauvée et complètement fascinée par le spectacle et la fraternité qui s'en dégageait. Mais une question me taraudait, pourquoi toutes les personnes congolaises interpelaient ces vendeuses "Maman"? J'eus la réponse là-bas!

Effectivement l'employé réapparut et vers quinze heure mon dossier fut épluché, mais...pour avoir le visa il manquait la preuve du paiement, je sortis mon chéquier, ah non, pas de chèque Madame il faut aller payer au bureau de poste du quartier, vous verrez ils ont l'habitude, ils ont les formulaires. Et puis dépêchez-vous, ça ferme à seize trente! Courage Annie! Sortir, courir dans la direction indiquée par le portier de l'ambassade, c'était bien plus loin que ce qu'il m'avait promis! Ouf, voici la poste, sauvée! Nouveau guichet, attente, on me remet un formulaire, je le remplis, me représente au-dit guichet... Raté, il faut payer en liquide! Vu le montant je n'ai pas assez, le guichetier me dit que je vais trouver un distributeur derrière la poste, la solidarité se forme, une gentille femme entraîne plusieurs personnes dans mon cas et dit qu'il faut faire vite, la porte de l'ambassade sera fermée dans une demie-heure, seuls ceux qui seront dedans pourront passer... Retour à la poste, j'ai mon papier prouvant que j'ai payé, je cours, je cours, ouf, la porte est encore ouverte! Queue de nouveau pour représenter le dossier tout à fait complet. je donne mon dossier, je reçois un papier qui en atteste, et suis envoyée en salle d'attente de nouveau. Dix-sept heure, un employé passe et dit que les dossiers seront examinés dans la matinée de demain et qu'il faut revenir demain pour le sacro-saint visa...Je me démène, parlemente, explique train-travail-Amiens-enfants-impossible, j'invente, je mens, je supplie presque et comme je ne lâche pas, on me permet d'attendre. Dans la salle d'attente les rangs s'éclaircissent, une femme et trois petits fatigués,  mâchouillent des bonbons et se traînent par terre, quelques messieurs nerveux. Et à vingt heures trente, enfin j'ai mon visa et je remercie, car on me fait comprendre qu'on a été bien bon avec moi!

C'était gagné! j'allais pouvoir partir!                                                                                    à suivre...


            
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Souvenirs de Masolo à Kinshasa

Je suis partie un jour pour Kinshasa en République Démocratique du Congo. C'est à la demande de l'Association Cardan que j'allais animer un atelier d'écriture pour la manifestation annuelle de Cardan, Leitura Furiosa, dans un centre qui reçoit des enfants des rues, à la journée ou demie journée pour des activités artistiques, musique dans une fanfare, couture, fabrication de statuettes en métal soudé, tableaux de sable, théâtre, marionnettes, et bien sûr apprentissage de la lecture avec un enseignant.
Ce centre s'appelle Masolo et vous pouvez le retrouver sur internet.

Je partais avec un autre membre du Cardan, conteur et comédien, pour Leitura Furiosa, sa mission était d'organiser la lecture théâtralisée des textes écrits le premier jour des rencontres.
Ce fut une extraordinaire expérience, j'étais hébergée dans le centre où il y a quelques chambres pour les invités, les artistes en résidence.
Ce centre est dans un quartier un peu excentré, tranquille, des rues de sable, des cours comprenant plusieurs maisons, des beaux grands arbres, quelques fontaines où les enfants se rafraîchissent en jouant quand l'eau coule. Dans notre large rue, certains jours les adolescents et adultes venaient disputer une partie de foot ball, et certains matins c'était toute une armée de femmes, les "mamans", qui venait faire de la gymnastique ensemble !
Au coin de la rue, une petit épicerie où nous allions acheter des boissons et quelques fruits. Parfois l'épicerie était le seul endroit du quartier à avoir de l'électricité et j'y étais accueillie alors pour travailler sur l'ordinateur. Ma présence amenait à l'épicerie  tous les curieux qui voulaient voir de près la blanche aux cheveux clairs, celle qui avait bien été repérée et avec laquelle on voulait échanger quelques mots. Alors très vite je sus me déplacer seule dans les rues accompagner la responsable à son bus et revenir seule à Masolo. Une fois que j'avais quand même perdu mes repères, et que visiblement je tournais en rond dans le quartier obscur, un vieil homme est sorti de l'ombre "Vous êtes perdue, venez, je vous ramène à Masolo!"

Pour le petit déjeuner, nous achetions à une femme installée dans la rue quelques beignets chauds, odorants et délicieux, les enfants arrivaient de plus en plus tôt dans l'espoir qu'il en reste quelques uns, du coup, on en achetait de plus en plus pour le partage!

On voit ici le mur de la porte d'entrée du centre, puis la cours où les enfants et les adultes s'installent parfois quand il ne fait pas trop chaud!
La nuit, les portes de la rue et de la maison sont fermées et un garde vieille toute la nuit.
La nuit tombe vite en Afrique, nous ne sommes pas loin de l'équateur et pour nous qui sommes habitués à une arrivée lente et douce de l'obscurité, la rapidité de l'installation de la nuit est surprenante! De plus l'éclairage du quartier est rare et incertain, toute cette grande nuit est une découverte. Mieux vaut avoir une bonne pile électrique pour circuler dans la maison, lire, dessiner ou écrire un peu. Parfois une bonne bière à la main, des discussions dans la cour se prolongeaient et me rappelaient le temps de mon enfance en vacances sans télévision, quand toute la famille montait sur la colline après le dîner et que mon grand-père nous apprenait à repérer le ''spoutnik'' qui passait à heure fixe au milieu des étoiles...

À suivre...


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Conférence du 5 février 2009 :
Au fil des expériences : inventer des histoires et fabriquer des livres

Ce matin c’était le côté scientifique, maintenant, c’est le côté plus poétique et bricoleur de mes activités! Inventer des histoires, fabriquer des livres, j’ai toujours aimé cela.
Nous allons maintenant essayer de retrouver ce fil des expériences !

J’ai longtemps travaillé avec des enfants sourds, je disposais d’une pièce pleine de choses, une bibliothèque fournie, un petit théâtre de marionnettes, un coin  peinture, des feutres, du carton, tout un tas de matériaux. (Des jouets aussi mais c’est une autre facette). Aussi une des possibilités dans la thérapie était de se raconter des histoires, d’en inventer, et de faire des petits livres parfois. C’est une activité hautement projective et par conséquent très thérapeutique, dans la mesure où les enfants savaient pourquoi ils venaient me rencontrer et qu’ils adhéraient au projet. Les techniques employées étaient le dessin, la peinture, les collages, on fabriquait le livre et l’on cousait les pages. La photocopieuse était l’outil le plus utile, il permettait mille et une pirouettes pour arriver à nos fins sans être des artistes.  Nos fins, c’est-à-dire : mettre en ordre une histoire en miettes, mettre du sens sur des évènements de la vie de l’enfant. Ces livrets ne se font pas en une fois, parfois l’aide d’un membre de la famille est nécessaire, les pages ne sont reliées que lorsque l’enfant est satisfait, au sens premier, c’est-à-dire suffisamment nourri par cette reconstruction pour continuer son chemin.                




J’ai toujours aussi poussé et accompagné les parents à mettre en place un cahier de vie pour leur enfant Il doit toujours être élaboré en co-action avec l’enfant. Ce cahier-livre témoigne des évènements marquants  de la vie de l’enfant et de son environnement : Là encore il n’y a pas besoin de savoir dessiner, le collage, découpage est une grande aide. C’est un trésor pour l’enfant, la mémoire des faits importants, le temps et les saisons qui passent, les rencontres, les activités, et aussi les choses désagréables : une maladie, le dentiste etc.
Il peut aussi renfermer des petits trésors de l’imagination



Au moment de l’apprentissage de la propreté, l’utilisation du langage scatologique a une fonction libératrice. Libératrice du sentiment de culpabilité inconscient lié à cet apprentissage des fonctions corporelles. Il s’agit de mots défendus, qu’il ne faut pas dire selon la plupart des modèles culturels familiaux. Les prononcer de manière détournée signifie donc refuser de subir cela et déverser dans le rire tout sentiment de culpabilité, et il n’est rien qui puisse autant dédramatiser ce passage. Il existe maintenant des livres sur le sujet et pour ma part j’aime rire de cela et inventer des petites histoires avec les petits. J’ai une petite fille qui a un rite : elle prononce « Caca boudin ! » et je dois répondre « Pipi au lit ! », puis elle dit «  caca de chien ! » et moi je dois ajouter « pipi de chat ! », après cela elle rit très fort, comme une décharge nerveuse, et je dois dire qu’ayant acquis la propreté depuis peu, ce rite tend à s’oublier. Une image, aussi, rapportée d’un musée a engendré des questions, puis une histoire inventée par la petite.


Les carnets de vie sont aussi pour les grands! Pour moi ils deviennent très importants en vacances ou en voyage. Et plus tard quand je les relis, je suis toujours surprise de retrouver des impressions oubliées, de «  m’y retrouver » ! 





Des voyages oniriques permettent parfois d’élaborer des histoires avec les enfants : avec AFTER WAR beaucoup de versions ont été créées, sur les thèmes du désert, d’un pays lointain et inexploré, sur des temps  futurs sans homme ou des temps très anciens, donc en naviguant dans les deux dimensions espace et temps. Sur le plan technique, on peut voir de la peinture, des collages, des tampons (que d’ailleurs je collectionne), des découpages…




CARNETS JAPONAIS 
Les rêveries amènent aussi leur manne qui sera un ferment pour d’autres histoires, 





et sur ces carnets japonais, les sirènes s’en donnent à cœur joie ! 
Ici ont été privilégiées des couleurs gaies, aux crayons de couleurs aquarelles  !

Sur cet autre carnet, LE GRAND VOYAGE : c’est l’histoire d’un enfant migrant qui part en vacances au pays d’origine, avec tout le chemin parcouru depuis Paris. Les dessins ont été coloriés également aux crayons de couleurs aquarelles que j’aime tant.





J’ai la chance de pouvoir travailler, avec l’association Le Cardan d’Amiens, qui œuvre pour les personnes fâchées avec la lecture. J’ai ainsi accompagné des enfants, des adolescents et des dames migrantes à Paris, au musée du Quai Branly le matin, et à Barbès l’après-midi. Ces visites avaient des motivations bien particulières, mais en ce qui me concerne, je devais vivre cette journée avec le groupe, puis en faire une histoire et un livre : Cela a donné : MAIS QUE SONT NOS ANCÊTRES DEVENUS ?

J’ai essayé de trouver un lien entre les personnes et leurs origines si diverses et les deux lieux visités, et de raconter une histoire portée par les récentes découvertes et questionnements culturels du groupe. Là encore c’est un bricolage complet ! la couverture est en rhodoïd, peinte avec de l’émail à froid pour symboliser les vitres du musée recouvertes d’un film plastique avec de grandes photos de forêt vierge. Un grigri inspiré de ce que nous avions vu au musée a été fabriqué, qui fait écho également aux papiers des sorciers distribués dans la rue à Barbès  qui ont amené ce thème des sorciers, des chamanes et des croyances anciennes, ici dans nos pays d’Europe. 







Un jeu de l'oie fut aussi fabriqué à partir de ce voyage à Paris !




Origines de ce goût si fort pour les livres d’enfants
Pour l’animation de l’atelier de cet après-midi, j’ai dû me pencher un peu sérieusement sur mes motivations et l’origine de ce goût pour les histoires destinées aux enfants.
J’ai eu la chance d’avoir des parents très bavards, dans le sens de la transmission, transmission de leurs propres racines, de leur enfance, de la guerre qui les avait séparés, et dont ils avaient le don d’en faire une épopée sans haine, au contraire qui leur avait donné des expériences particulières. J’ai aussi eu la chance d’avoir une grand-mère du nord, née dans le dernier quart du 19 siècle et qui m’a transmis bien des contes, des comptines, quelques images d’autrefois et sa propre mémoire héritée de ses ascendants.

Et d’autre part, des grands parents du sud-ouest, au bel accent, avec une autre culture, d’autres mythes, d’autres histoires, et une petite bibliothèque de beaux livres rouges et or, prix scolaires de deux générations et quelques livres vénérables en cuir, trésors des aïeux.  





Le goût pour les histoires est sûrement venu de tout ce bain de récits ouvrant la porte à l’imaginaire, mais aussi de rêveries enfantines. Était préservée cette part inappréciable de temps libre, d’explorations dans le quartier ou le village.  L’on pouvait espionner en cachette la vieille femme laide de la ruelle de derrière, et lui fabriquer une vie de sorcière. Aller sur les bords de Garonne au soleil d’Août, observer toute la faune et la flore, et nager dans les bras morts du fleuve en sentant des êtres étranges nous passer entre les jambes, couleuvres, herbes, feuilles, que sais-je, mais dont nous faisions des êtres fantastiques et effrayants vivant dans l’onde sombre!
De ces longues observations et manipulations du monde minuscule des insectes, des fleurs, d’une foule de petits objets, naissaient des histoires complexes, comme l’enterrement d’un escargot, avec tombe, messe et discours.
Des vieilleries délaissées du grenier, naissait tout un monde surréaliste qui nous permettait d’élaborer des histoires farfelues. Cette liberté, ce temps vacant, n’était pas du temps perdu.
Il n’y avait pas de télévision, et les soirées étaient consacrées à raconter les souvenirs, à se promener l’été, dans la campagne sous les étoiles, jusqu’à ce que le grand père voie passer son spoutnik, au rendez-vous quotidien. Alors, de la science-fiction fusait, un jour, on se promènerait dans les étoiles ! En attendant, on lisait tous ensemble dans le ciel : La voie lactée, le Grand Chariot, Orion, Pégase…
Les grandes personnes parlaient sans détour devant les enfants qui se faisaient oublier, et parfois des énigmes naissaient que la tripotée de cousins s’employait à résoudre 
Le goût pour les images est né dans le quotidien le plus banal, avec le début des publicités, les buvards décorés, les boîtes de cigares, les affichettes de corrida, les images chromos, des images de catalogues, (Manufrance !) les boîtes en fer colorées de la cuisine, même les images pieuses me plaisaient énormément ! La collection de cartes anciennes des grands parents qui m’inspiraient totalement. Mais aussi les belles toiles réalistes de mes parents.



Je suis née juste après la guerre, et les livres pour enfants n’étaient pas la priorité de la reconstruction du pays, mais j’ai eu la chance, une fois encore, d’avoir une mère pionnière de l’école maternelle et de vivre chaque jour sa passion des histoires qu’elle « testait » sur mon frère et moi. Et puis les livres d’autrefois, livres de prix scolaires, moralisateurs ou parlant d’un ailleurs faussement exotique, furent vite remplacés par les fameux Albums du Père Castor






Voici des images de Fédor ROJANKOVSKI, illustrateur fabuleux que l’on appelle aussi Rojan, il signe ainsi d’ailleurs, dont je collectionne les albums, le célèbre et toujours jeune Michka, Panache l’écureuil, Les trois ours et Boucle d’or

Et voici quelques images d’un nouveau petit livre en hommage à Rojan

Cette histoire en cours d’aquarellage s’appellera « Où es-tu Petit Ours ? »





Quelqu’un cherche un petit ours…L’on pénètrera dans une forêt touffue mais non hostile, et chaque page marquera l’espoir renouvelé de celui dont on ne saura rien de plus que sa recherche (est-ce un ours, un humain, un petit ou un adulte ?). Cependant, lui apparaîtra toute la beauté du milieu sylvestre, puis,  en suivant un chemin qui se découvrira au fil des pages, une cabane en bois  mystérieuse pour le lecteur qui y pénètrera. Les premières pages s’ouvrent à droite et à gauche comme s’il fallait écarter les branches pour pénétrer dans la forêt. Puis quand la cabane est atteinte, on pourra ouvrir la porte, les fenêtres et regarder l’intérieur. On pourra alors monter l’escalier et découvrir une chambre d’enfant, puis enfin y trouver un coffre à jouets dont on pourra soulever le couvercle et trouver enfin le petit ours qui n’est qu’un nounours bien classique.
C’est aussi un hommage à de célèbres ouvrages, si délicats si contemporains comme  « Poule Rousse », « Hans et Gretel », « Boucle d’Or et les Trois Ours »
J’avais trois, quatre ans, mais ce fût un choc dont je me souviens : une histoire associée à des images faisait un objet de rêve, puissant pour l’esprit comme pour les yeux, et se combinant si bien ensemble. Je crois que je suis toujours sous ce charme. Et la manière dont je regarde la nature a été profondément influencée par les albums de Rojan, mais bien sûr aussi, par la façon dont les adultes me les ont présentés.


Vieilles petites choses
Une part de l’enfance n’a pas disparu, qui me pousse encore à observer les petites choses que je trouve si belles, les galets, les lichens sur les rochers, les murs éraillés, les vieux papiers peints, certains insectes merveilleux, les coquillages, etc…
Il y a de la beauté partout, et parfois de vieilles choses usées, griffées, décolorées ont une beauté émouvante, et qui en tous les cas m’inspire beaucoup.



Il est très important à mes yeux d’aider les enfants à voir tout cela, à regarder les choses autrement, à s’en emparer pour les détourner et fabriquer du rêve.
Impossible d’avoir de tels émois avec des jouets de plastique, aux couleurs criardes et affolantes…Difficile d’extraire de ces objets, la poésie, le rêve et l’ouverture nécessaire à l’élaboration d’une histoire, difficile surtout d’en détourner le sens premier pour le transcender dans une fiction. Et cela est d’autant plus vrai que les objets de plastique apparaissent en masse dans l’univers de l’enfant, et cette matière unique pourrait et devrait servir des rêves si variés ?!





Miettes du passé
Des histoires, je crois que je n’ai jamais cessé d’en inventer ou d’en raconter :
Comme ce livre-objet retraçant un morceau de l’histoire de ma grand-mère, avec des petits bouts de rien du tout…





Livre-objet parce que livre unique, en bois recouvert de matériaux divers, avec une reliure bricolée, avec des techniques de collages et d’accumulation. Ce que j’en dis maintenant est dû au recul, au moment de son élaboration, aucune référence consciente n’était, seule l’idée impérieuse de dire cette histoire, de cette façon, et avec des morceaux d’origine comme la médaille militaire, ou fabriqués pour interpréter cette histoire.
Le principe de la couverture est là encore de détourner un objet, ici c’est un cadre en étain, puis de créer des pages comme des tableaux-boîtes où sont collés des petits rien symbolisant un jeu que j’adorais étant enfant, comme tous les enfants, c’est-à-dire, jouer avec une boîte à boutons, faire des assemblages et surtout écouter à cette occasion ce que la grand mère a à raconter de l’origine de ces boutons    



Hélices
Il y a longtemps, alors que je ramassais des végétaux dans les montagnes des Pyrénées pour faire des moulages, je retrouvais ces feuilles d’érable, qu’enfants, nous lancions en l’air pour les voir retomber en vrille, ou que nous accrochions à nos nez, les nez cancans ! 






Un petit livre est né de cette mystérieuse alchimie du rêve, de l’observation et d’un certain « laisser-aller » à inventer… Certaines images sont des clins d’œil à mes rêveries d’enfance, sauterelles, d’autres à de grands contes, Melle Andersen à des comptines, meunier tu dors, aux ordres des parents : accroche ton manteau, clin d’œil à un oncle, et à la fin une invitation est faite au lecteur de créer à son tour une image, un univers à partir de la graine offerte.


Les enfants ont cette capacité d’entrer de plain-pied dans ces propositions, j’ai pu le vérifier lors d’ateliers d’écriture et illustration, bien sûr il ne faut pas qu’ils aient intégré des normes d’expressions faisant barrage à la nécessaire liberté de penser, d’imaginer, et créer. Et la fréquentation massive de la télévision constitue à mon avis un de ces barrages, elle rend les enfants passifs et peu imaginatifs.(Passeron, chercher une citation)

Avec le CARDAN encore : Une animatrice, dame de lecture, m’a proposé d’animer un atelier à partir du livre « Hélices »

Les enfants s’inscrivent à ces ateliers en sachant qu’ils vont rencontrer un auteur et que nous allons inventer une histoire. Je les trouve très courageux car ce sont souvent des enfants un peu fâchés avec l’école, ils manquent d’assurance. C’est grâce aux animatrices convaincantes qu’ils osent venir.

*Lors des ateliers, après avoir lu et regardé le petit livre Hélices, nous ouvrons une malle pleine de livres sur le thème, ce sont des histoires illustrées, mais aussi des ouvrages techniques, des revues, des cartes, des vieux livres et des très nouveaux. Cette étape vise à nourrir visuellement et mentalement, à rappeler à la conscience des souvenirs, des images, des vieux contes peut-être.

* Puis nous partons  en forêt  et ils sont conviés à observer et ramasser des éléments végétaux.  On se raconte aussi des histoires en marchant sur le thème de la forêt ou la nature, c’est souvent des histoires de loup !  
Il faut guider l’enfant et en même temps lui laisser le temps de construire, seul, son univers, et cela on ne peut pas l’imposer ou alors c’est de la pédagogie et ce n’est pas cela que je pratique. Il s’agit ici de l’étape de mobilisation polysensorielle, le toucher des végétaux, les odeurs de la forêt, les sensations d’ombre et de lumière, les chants d’oiseaux ou le silence, les bruits bizarres…

*Dans un deuxième temps, après avoir fait sécher les végétaux, ils font une sélection des éléments qui leur disent « quelque chose »…
Puis je co-construis avec chacun d’entre eux, individuellement et intimement, une histoire inspirée par le végétal choisi.
Individuellement, parce que, après la première étape, chacun est déjà porteur d’un univers qu’il faut mettre en lumière, parce que l’inhibition devant les autres est un empêchement, parce que les enfants ayant une histoire « forte » pourraient influencer les autres.

 Mon rôle est alors très important, les aider à ce que l’histoire tienne debout, faire attention au vocabulaire, éviter le pathologique en proposant si nécessaire une autre voie.
Pas de pédagogie ici, je propose des sens, des mots, et l’enfant les teste dans sa bouche, sa tête, et nous choisissons ensemble.

*L’illustration est également faite à deux. Parfois nous nous servons d’éléments dessinés par l’enfant, parfois plus de découpages, la mise en page est critiquée à deux et j’aide l’enfant à « sentir » une meilleure harmonie. Pour cela j’ai aussi dans ma malle à livres, des ouvrages des colleurs célèbres comme Jacques Prévert, des livres d’art ou de graphisme.
Une table de matériaux est mise à disposition, avec tout un bric-à-brac de choses à exploiter pour l’illustration.
C’est St. Augustin qui déjà décrivait le travail de l’imagination comme consistant à disposer, multiplier, réduire, étendre, ordonner, recomposer de toutes les façons les images

PETITE FABRIQUE :




* Nous réunissons tous les trésors, la photocopieuse laser couleurs permet que chacun ait un exemplaire de tous les récits en un livret relié, avec une jolie couverture.

* En général, nous invitons les parents à venir entendre les histoires, et les parents sont souvent surpris du résultat, et les enfants heureux de ce partage.
  




Dans le même esprit, j’ai animé d’autres ateliers sur des thèmes différents, comme : Univers de la mer  




            




Univers de la ferme.  





                                               

À chaque fois, les enfants s’engageaient pour trois jours, et le même protocole était appliqué :

1-Nourriture de l’imaginaire, par des histoires racontées ou lues, par une       iconographie apportée, (collectif)

2-0bservation, rêverie, mobilisation des sens, mobilisation du patrimoine déjà intégré

3-Collection de matériaux, contribution de l’animateur dans cet apport (collectif)

4-Penser une histoire, (la co-construire individuellement avec l’enfant)

5-Illustrer l’histoire, en étant guidé (individuel)

6-Fabrication d’un livre avec tous les textes

7-Lecture collective de tous les textes avec invitation aux parents.



LEITURA FURIOSA

Chaque année l’association  le Cardan organise une vaste manifestation autour de la lecture, l’écriture, les mots et les histoires. Cela se passe pendant trois jours dans de nombreux lieux, les lieux où sont les personnes en difficulté ou oubliés dans le domaine, puis à la maison de la Culture, pendant deux jours.
Pour ma part, avec des personnes de tout âge, donc aussi avec des enfants, je fais des histoires consignées dans des petits livres uniques. Ce sont toujours des rencontres étonnantes, émouvantes, importantes. Et les livrets sont très originaux. Je ne sais jamais ce qui va se dire quand quelqu’un s’assoit près de moi. Dans un temps record, les enfants se mobilisent pour fabriquer une histoire qui « se tient » 








POUR LES TOUT PETITS
Les petits ont le goût des petites choses, à tenir dans la main. Je pars parfois de ce constat, pour inventer une histoire avec des petits.

Travailler en  volume est très intéressant aussi, fascinant, cela permet une liberté d’invention, chaque enfant, selon l’angle où il se trouve apporte un point de vue, observe des détails. Une histoire collective peut naître.
                                 
Le château enchanté     
                                                                                     


   

 Il s’agit d’un cadeau d’anniversaire pour une petite fille fêtant ses trois ans. À ma question : « qu’est-ce qui te ferait plaisir ? », elle m’avait répondu : « Quelque chose de mystérieux et de très très grand » en écartant ses bras au maximum…
J’ai donc construit un château à la taille demandée, avec décors et personnages, dont il a bien fallu inventer l’histoire avant de tout dévorer.
On m’a dit qu’il s’agissait d’un livre-objet éphémère. C’est une construction pour rêver, qui sûrement, doit beaucoup à Hans et Gretel, et mon plaisir fut de voir les enfants rivés au niveau de la table, les yeux et la tête se promenant sur la rivière, dans les arbres à barbe à papa, sur les toits, dans les tours…Ce ne sont pas les sucreries qui fournissaient les commentaires mais l’imagination en promenade dans le château enchanté.
                                              


Les lutins
Depuis longtemps je garde les petits sujets que les pâtissiers plantent sur les bûches de Noël pour des bricolages divers.
Les jours qui ont suivi Noël cette année, trois petites filles (entre 2 et 4 ans) regardaient ces sujets de plastique, les touchaient, commençaient à commenter leur aspect, leur fonction et à les animer. Est née alors cette histoire, en co-action, c’est-à-dire de ma part, en suivant leur imagination, en m’ajustant à leurs trouvailles et en faisant moi-même des propositions: 
« Mais que font donc les lutins du père Noël quand la fête est finie ? », puisque effectivement Noël était passé et qu’on défaisait le sapin.
Un appareil ménager avait été livré et nous nous étions dit que le polystyrène de l’emballage ressemblait à la neige qui la semaine précédente recouvrait le jardin. L’histoire pouvait prendre son envol !


   

    

Comme il s’agit d’une histoire « en volume », le tableau présenté est lu de haut en bas, comme sur une page, l’enfant doit être aidé dans l’écoute et la découverte visuelle.
Mon choix a été de fixer les sujets avec de la colle, les faire bouger aurait été un autre projet.    



« Le cœur de Nina »
Certains livres répondent à des interrogations des petits, ainsi j’ai réalisé un petit livre-objet : « Le cœur de Nina », après que l’aînée de mes petites filles ait déclaré clairement son angoisse à l’annonce d’une nouvelle naissance.




Je voulais traiter le sujet de manière distanciée, c’est-à-dire sans coller à la réalité de la composition de la famille, et je voulais l’ouvrir sur le monde des sentiments de manière plus large. D’autre part, je voulais que l’idée du gonflement du cœur passe aussi par la forme, que l’aspect sensoriel soit riche mais apaisant et doux. Apparemment, les lectures montrent que ce mini-livre plaît beaucoup aux petits.
Le jeu de rimes n’est pas étranger à l’attrait du récit. 
Le côté bricolage est toujours un défi, pour celui-ci, j’ai repris l’idée du livre des graines-hélices pour la couverture.

                             
« Petite soeur»
Une autre histoire de jalousie lors d’une naissance était née d’une collaboration avec une fillette de 4 ans et une de 7 ans. Très différente dans sa structure qui est un récit linéaire, avec des rebondissements, intervention d’une baguette magique qui selon le vœu annoncé de la grande sœur transforme le bébé en une petite souris ! Après bien des péripéties, la baguette restituera la petite sœur, mais seulement après que la grande aura pu formuler sa tendresse et son désir de la retrouver.
La forme est narrative, bien des rebondissements ont été abandonnés, comme la dévoration de la souris-sœur par le chat, sa fuite et perte définitive dans un tuyau !
La transformation du bébé en souris est réversible, et cette réversibilité est un des ressorts dans bien des histoires ou contes.
L’illustration est en chantier, en co-action  avec les fillettes, ce sera un mixte de leurs productions et des miennes.

« Tout ce que j’aime faire avec Grand-Père et Grand-Mère »
Être grand parent est un bonheur pur. J’en témoigne à ma manière par un texte qui joue à la fois sur la répétition et sur l’accumulation, tout ce que l’on aime faire avec son grand père et sa grand mère. À la fin, riche de toute cette tendresse, on repart avec ses parents en sachant que l’on reviendra pour d’autres aventuresLIRE

«  Les bébés de la crèche »
Parfois à table, un jeu international s’impose : une bouchée pour Tom, une bouchée pour Lili …Et l’on fait défiler ainsi toutes les connaissances jusqu’à ce que l’assiette soit vide. Les tout petits aiment faire le tour de collections, d’ensemble: nommer tous les animaux de la ferme, les animaux sauvages, tous les modes de déplacement, ex : une bouchée pour Papa qui arrive en auto, et l’on fait le bruitage, une bouchée pour Grand-père qui arrive en avion, etc, et tous les membres de la famille et les amis y passent !
Les enfants aiment se sentir mêlés aux histoires ne serait-ce que nominalement. Cela renforce l’intérêt et l’attention dans la mesure où il renforce l’identification.
Sur  ce principe de rappel est née l’histoire des bébés de la crèche, dans cette histoire, des petits de ma connaissance sont cités. Ils sont remplis de joie quand leur nom est cité. Et à la fin de l’histoire, j’entends « encore ! » 
LIRE UN PEU
L’attrait réside dans les rimes avec les activités attribuées à chaque bébé nommé.
La pensée se forme par couples nous dit Wallon, « L’élément de pensée est cette structure binaire, non des éléments qui la constituent. Le couple, ou la paire sont antérieurs à l’élément isolé. »
C’est aussi pour l’enfant l’occasion, de se représenter, d’imaginer une parenté entre les couples proposés. RELIRE un PEU


Un de mes univers de prédilection est celui de nos côtes, les galets en particulier dont les formes, les taches et les dégradés de couleurs si variées  permettent plein de d’inventions  d’historiettes : GALETS en tout genres
Diapos 13-14-15-16-17-18
La manipulation des galets, avec leur poids, leurs sonorités différentes quand on les entrechoque, apporte un supplément dans la mobilisation des sens.
Il n’y a pas que les galets qui peuvent nous inspirer : cette dernière histoire est insérée dans une sculpture, peut-on dire une sculpture-livre ? un livre-installation ? Je ne me suis pas posée de questions quand l’idée de l’illustration de « Pierre le petit pêcheur et Ondine la sirène » s’est imposée.

Cette histoire, racontée des dizaines et des dizaines de fois, depuis très longtemps, parle d’amour inaltérable, mais aussi de la différence. Il s’agit de l’histoire de Pierre le petit pêcheur et d’Ondine la sirène, c’est le conte à l’envers en quelque sorte. C’est l’amour fort et  réciproque qui permettra de surmonter les différences, sans renier ses origines. C’est le pêcheur qui ira vivre sous la mer.
Cette histoire est née bien avant le séjour au bord de mer qui a permis cette construction. Elle fonctionnait très bien et se racontait dans le noir avant de dormir.
Puis pendant les vacances, avec plusieurs jeunes enfants, à mon habitude, je ramassais des galets, des verres roulés par les vagues, des bouts de bois flottés, des bouts de plastique usés, de la ficelle et plein de trésors éphémères des bords de plage que les enfants repèrent particulièrement.
En les manipulant, les assemblant, peu à peu, tel bout de bois  est devenu Pierre, tel autre Ondine, et jour après jour le tableau final du conte s’est imposé !

Diapos : 19-20-21-22-23-24-25….Et ils vécurent longtemps et eurent des merveilleux jumeaux. Lire
Là encore, c’est le lieu, la mer, avec plein d’histoires autour de ce thème, la sensorialité des objets ramassés, la poésie qui s’en dégage qui a conduit le petit groupe à bon port si j’ose dire. 

Si j’ai un seul message à transmettre aujourd’hui, c’est osez, testez, recommencez, si vous ne savez pas dessiner, ce n’est rien, vous savez découper, tamponner des vignettes, colorier. Ce sont les enfants eux-mêmes qui valident ou non vos productions.

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