Crocodile aux dents de diamants, souvenirs de Kinshasa 3

Voici le texte écrit après deux jours passés avec les enfants de Masolo, ils m'avaient surtout parlé de leur vie, des raisons qui les avaient jetés à la rue, leurs problèmes et leurs espoirs.

Je n'aime pas les crocodiles, les diamants sont un enjeu économique important dans le pays et source de trafics. Pour moi c'est le symbole de tout ce qui broie le peuple.










Crocodile aux dents de diamants, tu manges les petits de Kinshasa !
Eh ! Crocodile aux dents de diamants ! As-tu faim ?

Courir, il faut courir, goût de sang dans la bouche, poumons asphyxiés,
Kaniama kasese te, te, te !
Depuis ce matin, c’est la débandade, la folie.
Ces chiens ! La chasse est ouverte, la grande chasse des enfants pour les travaux forcés.
Vite mes frères, plus vite, Mariam, tu dois suivre!
Nuit noire, murs noirs, chemins noirs, trouver un coin pour se cacher, se reposer même un instant,
des sirènes hurlent dans la nuit, les voitures s’enfuient elles aussi, traverser le boulevard entre tous ces chauffards.
Attention  Mariam ! Trop petite, trop peur, hésite. Traverse Mariam !
Oh Dieu ! Son corps se froisse sous les grosses roues. Que ce camion s’arrête !
Retiens- moi mon ami !
Se cacher pour regarder, serre moi mon ami, serre moi à m’étouffer…
Ils arrivent, klaxon bloqué,
Repartir, écraser ses larmes, courir,
le regard de Mariam élargi de terreur, grand écran,
bondir par-dessus les tas d’ordures qu’on distingue à peine dans la nuit.
Un petit couloir, tout noir, s’écrouler là, se tenir la main et faire silence dans le tintamarre étourdissant de la tête.



Eh ! Crocodile aux dents de diamants ! As-tu faim ?

Nausées, fièvre, mal, mal, malaria,
Délires, vertiges, ça cogne dans la tête.
Perdu si loin de vous, abandonné trop longtemps
Père, est-ce  toi ? Miracle, te voilà,
Camion, bateau, fleuve, hôpital, espoir.
Mère ! enfin…Trêve.

Pan ! Cauchemar, soldats déchaînés,
hôpital dévasté, morts, morts partout,
Mal, mal, méningite,
Mère berce-moi, chante,
pas de cris, pas de pleurs, danger.
Silence pour mon départ





Eh ! Crocodile aux dents de diamants ! As-tu encore faim ?

Nuits sombres, rêves hébétés.
Sorcier, tu es sorcier !
Tu as voulu manger mon enfant,
tu as pris le travail de ton père.
Pasteur ! Arrête ! Tu vas me tuer !
Mère ! Père !

Nuits agitées, rêves crucifiés,
Sorcière, tu es sorcière !
Tu nous a fait perdre nos plantations,
Tu as rendu malade ta marâtre.
Pasteur ! Pitié ! Ne me bats plus !
Mère ! Père !


Eh ! Crocodile aux dents de diamants ! As-tu  vraiment encore faim ?

Ton poison ne faisait pas partie de tes promesses!
Le grand fleuve m’a emmenée vers le bonheur,
Solitude, abandon, sida : les cadeaux du malheur
Merci mon mari ! Mais aujourd’hui je te laisse.
Aujourd’hui je survis, je regarde demain sans peur.



Eh ! Croco de malheur ! Peux-tu encore manger ?

Manège infernal des parents
Femme tu m’as trahi, homme tu me trahis,
Prends ton fils ! Garde tes filles !
Où es-tu mon frère ?
Départ, voyages, Boma, Kisangani, Brazza,
Village de Grand-Mère,
Chez Tantine, chez Cousin,
Laisser un petit par-ci, déposer une petite par-là,
Retour à Kin, confusion, chagrin.
Bouger, chercher fortune
Et ça repart, survivre, « business »
Cousin ! Je prends ton fils, Tante ! Garde mes enfants !
Mille combines, mille échecs.
Et c’est reparti pour un tour de manège…
Remariage, marâtre, beau-père, co-épouse
Laisse ta fille ! Jette ton fils !
Jalousie, trahison, déception.
Manège, manège, la tête tourne, SOS !


Et bien maintenant, crève, vieux crocodile miteux !

Les rêves des enfants de Masolo sont plus grands que toi,
Héros pleins de force, de bonté et de courage.
Leur fanfare explose de joie,
La peur est mangée par le baryton,
L’abandon est avalé par la trompette
Et Monsieur Mille-Baguettes rythme l’espoir !
À l’ombre du somptueux manguier, les mots se tissent,
Et les livres se partagent dans de grands éclats de rire.

Tissage de vies, d’émotion et d’amitié de Claude 11 ans, de Salva 13 ans, Nathalie 16 ans, Emy 19 ans,
 Charlène 20 ans, Ginette 21 ans, Robin 22 ans et Annie Krim. 

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