FATIMA

C'est un texte un peu ancien. C'était mes débuts bagarreurs avec un ordinateur...
J'ai rencontré plusieurs petites dames comme Fatima au Maghreb, et quelques picardes aussi!

Ce texte a été travaillé dans l'atelier d'écriture de Dominique Zay, qui nous avait distribué des cartes postales différentes pour chacun, avec mission de raconter une histoire.
Fatima trottine et sa pensée en fait autant!
Je me suis bien amusée en l'écrivant






Fatima se dépêche, elle marche le plus vite possible, il n’y a presque pas de voitures dans la rue à cette heure si matinale.
Elle fuit, il s’agit  de mettre sa précieuse machine à l’abri!
Et que sa fille ne lui dise pas encore que c’est une antiquité!
La  machine de  sa mère! Monsieur  a eu le culot de lui demander pour sa putain …Une traînée celle-là! Monsieur voudrait  une deuxième femme!
Ce n’est sûrement pas elle, Fatima, la mère de sa fille, qui va offrir le cadeau de bienvenue à l’autre !
Monsieur veut s’amuser?  Elle n’a rien contre, mais qu’il y mette le prix !

Elle avait quitté la maison en pleine effervescence déjà  ce matin, les belles sœurs criaient qu’on leur lance le linge depuis les étages de la cour intérieure, et des bruits amplifiés de seaux et d’eau se mêlaient aux cris des enfants en train de
s’asperger. La lessive, aujourd’hui, ce n’est  pas pour elle ! Puisque Monsieur le prétentieux la trouve trop vieille, et bien d’accord, elle est trop vieille et elle parie cent dinars que la princesse ne tardera pas à le trouver trop vieux lui aussi!
Finies, les nuits de ronflements, elle aura toute la place.
Un  gamin la frôle en courant, « Un peu de respect! Ta mère ne t’a pas éduqué ? »
Mais l’autre est déjà loin ! Il ne manquerait plus  qu’un imbécile fasse tomber
sa machine. « Woullah, je lui crève les yeux ! »

Elle marche le plus vite possible pour arriver avant que sa fille parte au travail. Travailler! Quelle idée! Liberté…Indépendance…Liberté…Indépendance…
Résultat, elle est toujours  pressée et énervée… C’est sûr, elle a  son propre argent, d’ailleurs, elle pourrait  demander à sa fille de lui  remplacer ses vieilles  claquettes, oui sûrement elle sera d’accord…

La machine sur la tête, en équilibre, lui rappelle le temps de son enfance au village quand sa mère l’envoyait porter le pain à cuire dans le grand tagine de sa grand mère, au retour il était tout chaud sur son crâne, il lui semble sentir encore la bonne odeur qu’elle laissait dans son sillage….Elle espère qu’elle aura une tasse de café en arrivant, c’est le moins qu’ils peuvent faire! Elle espère surtout que son gendre sera parti travailler, c’est lui qui clame toujours que l’avenir, donc le commerce, appartient aux lève-tôt. Habile dans son métier, paraît-il, un peu trop selon elle, il a transformé sa fille !
Parfois elle ne la reconnaît pas, d’ailleurs, elle ne va pas s’attarder, non, juste se reposer un peu avant de repartir, la machine bien l’abri.
Oh ! Ce n’ est pas une machine très moderne … Il faut même quelqu’un pour tourner la manivelle, mais ça permet de papoter en travaillant, bon, les jeunes préfèrent les machines à l’électricité, mais c’est pas son mari qui lui achèterait ça! Et sa fille, c’est simple, elle préfère acheter du tout fait ! Du-prêt-à-por-ter  comme elle dit, la bouche en cul de poule!

Bon, elle va se reposer un peu dans leur salon, sur le canapé… Un canapé blanc! Des idées de grandeur! Et elle regardera ce beau salon, et aussi les bibelots, tous les cadeaux de mariage, là quand même, son mari a été à la hauteur, il n’y a pas à dire, il a fait les choses en grand pour une fois!…Mais aussi quelle fierté de faire rentrer sa fille unique dans une famille comme ça…Elle en soupire d’aise, elle-même était très bien, vraiment elle se félicite, mais depuis le mariage, ils n’ont pas encore rendu le repas, elle se fait un peu de souci, ils se sont choisis, d’accord, mais en famille c’est plus simple!  Pour la  dé-co , comme dit sa fille, elle n’a jamais le temps de tout détailler, elle parle toujours  dans la cuisine avec sa fille, pendant que le gendre regarde la télé.
Elle regardera aussi toutes les lampes, mais elle ne les allumera pas. Eux, dès qu’ils rentrent, ils allument tout, elle se demande combien ils payent d’électricité, une fortune !
Un vrai gâchis !  Elle se souvient de la lampe à huile et des bougies de son enfance, et des  longues ombres qui flottaient sur le mur, et sa tante Khadija sa chère tante, qui racontait des histoires de Djenouns à faire dresser les cheveux sur la tête ! Elle avait du mal à s’endormir ces soirs-là, et elle se serrait contre
sa grand-mère dans le lit,…..
Maintenant, il n’ y a plus que la télé, plus personne ne raconte d’histoires  dans le noir!  Voilà, elle pourrait regarder un peu la télé chez sa fille en se reposant sur le canapé blanc …. Elle aime tous les beaux films, ceux qui font pleurer surtout, les égyptiens par exemple, plein de beaux sentiments, dommage
qu’elle ne comprenne pas beaucoup la langue, l’arabe classique faut avoir fait des études pour y comprendre quelque chose, elle aime bien aussi Dallas, et Pamela, quelle femme…
Mais ce qu’elle préfère, Aïe ! Elle en fait une embardée sur le trottoir rien que d’y penser, ce qu’elle préfère c’est les feux de l’amour
Ah, les feux de l’amour, aujourd’hui, si elle peut rester jusque dans l’après-midi  chez sa fille, elle pourra voir son feuilleton …Décrocher le téléphone pour être tranquille…Préparer un plateau-repas… Juste un petit en-cas, leur frigo est toujours plein! Non, pas plein, archi-plein, trop plein, du gâchis, on ne peut tout de même pas manger plus qu’on peut ?
Oui, elle se félicite de cette bonne idée, elle en est toute excitée, la télé, son feuilleton préféré pour elle toute seule, sans les cris des satanés  enfants de ses belles-sœurs qui piaillent elles-mêmes comme des poules.

Elle va s’acheter une petite bouteille de limonade, après tout, elle le mérite bien, et elle a besoin d’un remontant ! Non, une grande bouteille ! Elle la prendra chez Omar, l’épicier en bas de l’immeuble de sa fille, elle la fera mettre sur la note, son gendre paye au mois, il  ne s’en apercevra pas, et puis ce n’est pas si souvent qu’il lui  fait des cadeaux !

Elle trébuche à nouveau, il vaudrait mieux qu’elle demande des souliers à sa fille, les chaussettes dans les claquettes, ce n’est pas pratique, ce n’est pas qu’il fasse si froid, mais quand même ce n’est pas la bonne saison.
Elle sera bien au chaud dans l’appartement, elle fera une petite toilette dans la belle salle de bains de sa fille, une grande pièce, avec des carreaux mauves et dorés  un peu comme dans Dallas, elle mettra du khôl et un soupçon de rouge sur ses joues ? Elle attendra que sa fille soit partie pour cela!

Une salle de bains…Elle n’avait demandé qu’une douche à la maison! Il lui a dit  « Va au hammam
comme tout le monde ! »  Monsieur  s’est pourtant acheté un portable, et que je te téléphone par-ci, et
que je te téléphone par-là!
Et quand l’engin sonne « Apporte-moi le portable mon fils, donne-moi mon portable ma femme ! »
Et lui, il reste scotché sur son fauteuil.  Yes,Yes Mister, et bien
Goudebaille maintenant!   Pas de douche ! Au hammam ! C’est vrai qu’elle aime bien y aller, rencontrer
les voisines, y passer toute l’après-midi, apprendre toutes les histoires du quartier, il paraît que la belle
fille de Zakia ne peut pas avoir d’enfants, son mari veut la répudier, son mari … sa belle-mère plutôt! Ça fait
deux ans qu’ils sont mariés, la grosse dondon de Zakia  regarde déjà les jeunes filles au bain, et se
renseigne sur leur famille et leur fortune …

Elle pourrait même se faire couler un bain, ça c’est impossible au hammam, un bain avec de la mousse, plein de mousse, comme Paméla la dernière fois, la baignoire est grande, peur de s’y noyer et puis, mettre du parfum, c’est sûr, sa fille ne s’en apercevra pas, elle s’en inonde à chaque instant.

En attendant, par ici ça sent rudement mauvais, ils ne sont pas pressés de nettoyer les rues ! Quelle bande de fainéants à la mairie, dire que mon « cher » époux fait la fête avec eux … Quelle honte…Tous des fainéants!  Elle enjambe prestement un tas d’immondices, et descend du trottoir pour  continuer son chemin. C’est ça ! Klaxonnez maintenant! Je ne suis pas assez visible avec ce voile? Ah oui, le voile, il faudra qu’elle l’enlève dans l’escalier…Maman  pourquoi tu mets encore cette horreur? C’est l’uniforme de la tristesse…Maman, le voile ceci, le voile cela…Mais ne pas la mettre de mauvaise humeur dès le départ…

Après son petit en-cas, elle fumera une de ces fines et longues cigarettes que son gendre fait venir d’Egypte…Celles de la belle boîte précieuse, Comme Paméla,
là où ils exagèrent, quand même, c’est quand les femmes du film fument partout, dans la rue, devant leurs parents, en conduisant, faut pas  pousser quand même… Réajuster  la machine d’une main,  cramponner son sac de l’autre, faire attention à son sac, si  un de ces sales voleurs allait lui faucher son sac? C’est plus sûr de les avoir pris avec  elle… Des fois que son mari aurait l’idée de piocher  dans ses bijoux pour sa nouvelle conquête! Et les mômes des belles- sœurs qui fouinent partout dès qu’elle a  le dos tourné ! Et même leurs mères peut-être…Les confier à sa fille? Il faudrait pas qu’elle s’imagine que c’est cadeau! Mais elle est en colère après son père.. elle l’aidera…Tout lui expliquer,  il faut qu’elle l’aide, elle pourrait passer la nuit chez sa fille, un tout petit coin, ça suffit pour dormir…Recevoir sa mère sans lui donner la belle chambre d’amis, impossible! Elle sera bien là, et ça donnera à Monsieur le temps de réfléchir. Il verra si l’autre lui fait des bons petits plats !
Les enfants partent une semaine en congé, au Maroc, je-suis-si-fa-ti-guée-ma-man ! Bon, pas la peine de t’énerver ! Pars avec ton mari, je vais te garder la maison! Pas de souci …Oui lui dire ça, pars tranquille ma fille, je ne bougerai  pas  d’un  pouce, je ne sortirai  pas ! ! !



                                              .................................................

Tout ce que j'ai pu imaginé avant de me lancer à la poursuite de Fatima! 


Je regarde la photo, comment s’appelle-t-elle? Que lui arrive-t-il ?

                Ce serait une femme en difficulté, mise à mal à cause du statut de la femme dans un pays arabe, ou berbéro-arabe, du code de la famille, ou bien elle vient d’être  répudiée et retourne chez sa mère, sans pouvoir emmener ses enfants…
                Pourquoi en difficulté ? peut-être est-elle très bien dans sa tête, et est-elle en train
d’accomplir une tâche banale.
     
                 Une féministe qui se cache derrière le voile pour combattre la loi, ou duper son mari, ou un groupe de mecs traditionnalistes ? Elle rumine des vengeances rentrées depuis des générations? Elle s’occupe d’une association secrète de femmes, d’entraide, de scolarisation des jeunes filles en cachette, c’est  une combattante ?

                  Une rigolote  qui est bien adaptée à sa culture, mais qui ne s’en laisse pas remontrer. Et combien de kilos de dattes  à commander pour le mariage de sa fille cadette ? et combien l’ orchestre demandera  pour la troisième soirée ?

                 Plus drôle encore, un homme qui utilise ce déguisement pour rejoindre sa bonne amie. Qui irait soupçonner cette si gentille copine qui vient coudre avec Fatima, ou bien c’est peut-être sa cousine 
                            Le mari : « Et qu’as-tu fait aujourd’hui Fatima ? tu as l’air fatiguée… »
                            Fatima : « Ma cousine est venue coudre avec moi, tu sais elle m’agace un peu, mais elle ne sait pas bien coudre, et ça me fait plaisir de l’aider… »
                            Le mari : "Ne te force pas trop tu sais, mais je suis content que tu aies de la visite, il faut que les femmes aient un peu de distractions… »  


                  Une femme cachée par son voile peut faire ce qu’elle veut et aller où elle veut. Pendant qu’elle marche bien à l’abri des regards, sa pensée peut rouler. Une machine sur la tête ! C’est  une image surréaliste, mais si banal pour elle, on voit ça tous les jours à Kinshasa. C’est une vieille machine que l’on doit tourner à la main, il faut donc compter sur la solidarité des autres femmes pour la faire fonctionner, qu’importe, on pourra en profiter pour papoter et médire sur tout le quartier !

Finalement :
Pas envie de rencontrer une héroïne ce soir, fausse bonne idée,  plutôt une situation banale une nana de là-bas qui promène sa vie à elle sans  problème spécifique mais quand même avec des pensées bien précises, sa personnalité affirmée… 

Fatima s’est mise à exister de manière autonome, plus elle marchait en ressassant ses histoires et plus elle me surprenait  par sa mauvaise foi, son caractère très affirmé, ses petits arrangements avec la vie…
Pas de grands discours, une femme simple, avec des problèmes ordinaires de tous les jours.


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